Compilation WIZZZ!

Recueil indispensable

(Born Bad Records ; 2001)

La réédition récente du premier volet des deux compilations Wizzz! est un bon prétexte pour évoquer ces deux excellents disques, réalisés à quelques années d’intervalle par J-B. Guillot, patron du label parisien Born Bad. Chanceux lecteur, voici le premier des articles consacrés à la compilation Wizzz!

Le concept du premier disque est à la fois simple et renversant, puisqu’il offre l’occasion de découvrir de nombreux artistes francophones qui avaient été jetés depuis longtemps aux oubliettes de l’histoire musicale. Au moment où est sorti le disque, le patrimoine rock’n’roll français des années 1960 était encore largement ignoré (oui, encore plus qu’aujourd’hui). Qui pour représenter des artistes francophones rock’n’roll excitants des années soixante ? Bien sûr, Gainsbourg, Dutronc (et, dans une moindre mesure, Nino Ferrer) sont les valeurs sûres, celles vers lesquelles on peut se retourner en toute confiance, mais où regarder ailleurs ? Cette compilation est capable de remplacer le disquaire compétent que vous rêveriez d’avoir en bas de chez vous : il peut faire office de disque de référence pour de nombreux fans de rock français, et devenir celui à partir duquel les recherches vont pouvoir commencer.

Wizzz! est un LP d’une qualité impressionnante, et le moyen de découvrir des pistes fantastiques : sur les quatorze chansons compilées ici, la plupart sont de véritables pépites. A la première écoute, l’impression dominante est un choc : le son est délirant de précision, d’ampleur et de maîtrise… Les artistes qui enregistraient ces morceaux n’avaient rien à envier à leurs homologues anglo-saxons ; et l’on se pose encore la sempiternelle question : pourquoi le rcck’n’roll n’a-t-il jamais été adopté en France ? Trop d’éléments jouaient en défaveur de cette scène, née avec un léger temps de retard par rapport aux anglo-saxons et confrontée aux réactionnaires de tous poils. Anti-américanisme, anglophobie, critiques faciles sur les textes des chansons ou le style des artistes… Il est évidemment facile de s’attaquer aux paroles des morceaux (selon le point de vue que l’on choisira, elles seront qualifiées de naïves, de pauvrement surréalistes ou d’absurdes), de dénoncer les références explicites aux drogues (« A dégager », « La drogue »), les néologismes assez risibles (« Le Papyvore ») , le dialogue minimaliste et crétin de « Bernadette », les soupirs érotiques (« Avec les oreilles », « Cuisses nues, bottes de cuir ») : tout cela était parfaitement impensable à défendre, sous le ciel toujours bleu de la France Degaullopompidolienne. Près d’un demi-siècle plus tard, nous souffrons encore des conséquences de cette cabale : une scène francophone lamentable, empêtrée dans la variété, et un rock’n’roll voué à évoluer dans l’anonymat le plus complet, à de trop rares exceptions près.

La face A de Wizzz! s’ouvre sur une chanson joyeusement antiféministe (et chantée par une femme, comme il se doit) : « Les filles, c’est fait pour faire l’amour », où Charlotte Leslie égraine les problèmes existentiels d’une femme moderne, avant de conclure de façon assez surprenante. L’enchaînement des deux premières pistes est particulièrement brillant, avec l’arrivée de « Rouge Rouge » dont le rythme effréné accompagne le chant de Christine Laumier. L’ensemble de la face A démontre l’excellence de quelques uns des artistes de cette scène, capables de rivaliser avec n’importe lesquels de leurs homologues anglo-saxons – ce qui était leur but avoué – et de livrer des chansons fantastiques : « Exitissimo » de William Sheller est ainsi une révélation, tout comme les morceaux les plus célèbres des Fleurs de Pavot (dont nous reparlerons prochainement) et des Papyvores, respectivement « A dégager » et « Le Papyvore ». Le son est impressionnant, les solos (guitare ou orgue) sont brefs et originaux, et si le style est évidemment à rapprocher de l’ensemble pop, il faut constater une remarquable inventivité générale et un enthousiasme quasiment tangible.

Après une première partie aussi impressionnante, qu’attendre de la suite du disque ? A peine le temps de se poser la question, de retourner le vinyle, et la face B commence sur des bases incroyables avec une chanson géniale signée Stéphane Varègues : « Le Pape du Pop », qui raconte les aventures d’un dandy atypique, le héros éponyme de la chanson, sur une musique à la basse bondissante et aux arrangements (violons et chœurs) impeccables. Le disque rend ensuite hommage à la collaboration entre Messieurs Richard de Bordeaux et Daniel Beretta, avec deux morceaux fantastiques. Le premier, « Psychose », évoque visions rimbaldiennes (« Elle s’appelle Psychose, la fille de mes nuits, elle saute sur mon lit, de sa langue de feu, me crache dans les yeux ») et angoisse œdipiennes sur une musique extraordinaire, alors que le deuxième (« La Drogue ») se déploie sur un rythme plus modéré, et bénéficie d’arrangements plus luxuriants et classiques. A n’en pas douter, les deux pistes sont marquantes, et leur présence ici est totalement justifiée.

Deux chansons aux interprètes féminines apparaissent sur cette face B : la première est une parodie de Brigitte Bardot par Monique Thubert « Les Oreilles » , et la seconde (« L’œil », de Bernadette) commence par une envolée de piano vite rejointe par une rythmique beat aux sons délirants, et reproduit une discussion minimaliste entre un vieil homme et une jeune femme. Le disque s’achève sur le délire érotique assez malsain de « Cuisses nues, bottes de cuir » de Philippe Nicaud. Cette chanson est issue de l’album EroticoNicaud sorti en 1970 et réédité en 2009), relativement célèbre pour ses paroles où l’homme exprime ses pulsions animales en contemplant une femme « Toi tu t’en fous… de leurs soupirs / Mais un beau jour, prends garde à toi / C’est un bourgeois devenu Borgia / Qui te clouera entre ses bras. »

En à peine plus d’une douzaine de chansons, Wizzz! a fait ce qu’aucune compilation n’avait fait avant elle : donner sous une forme compacte un regard sur une scène à l’époque méprisée, et rendre possible à ses auditeurs d’immenses découvertes musicales. Pour cela, Wizzz! reste le disque de référence, et une compilation qui a fait date.

 

 

Liste des chansons :

Face A :

  1. Charlotte Leslie – Les Filles c’est fait pour faire l’amour
  2. Christie Laume – Rouge Rouge
  3. Les Fleurs de Pavot – A Dégager
  4. Danyel Gérard – Sexologie
  5. Richard de Bordeaux – Je m’ennuie
  6. Christine Pilzer – Champs Elysées
  7. William Sheller – Exitissimo
  8. Les Papyvores – Le Papyvore

Face B :

  1. Stéphane Varègues – Le Pape du pop
  2. Messieurs Richard de Bordeaux et Daniel Beretta – Psychose
  3. MoniqueThubert – Les Oreilles
  4. L’œil – Bernadette
  5. Messieurs Richard de Bordeaux et Daniel Beretta – La Drogue
  6. Philippe Nicaud – Cuisses nues, bottes de cuir

 

Vidéos :

Messieurs Richard de Bordeaux et Daniel Beretta – “Psychose”

 
Charlotte Leslie – “Les Filles c’est fait pour faire l’amour”
 
 
Philippe Nicaud – “Cuisses nues, bottes de cuir”
 
 
Christie Laume – “Rouge Rouge”
 
 
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4 Commentaires
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alextwist
Invité
17 novembre 2011 1 h 14 min

en fait il existait des compilations 60s françaises avant celle ci, mais elle a été la première à avoir bénéficié d’une certaine exposition à juste titre

JB a oeuvré dans la légalité ce qui lui a permi de comuniquer et vendre sa compilation par des circuits plus ouverts que les habituels compilations 60s généralement bootleg

en fait Wizzz est un peu au rock français ce que la Nuggets est au rock 60s: une porte d’entrée “officielle” vers le monde fabuleux des obscurités 60s et des compilations plus officieuses et
confidentielles

sinon je crois que tu as oublié de parler de la superbe pochette signée Peellaert malheureusement décédé depuis

petit regret sur la rééditon 2011: l’absence des notes de pochettes mais pour le reste je suis super heureux que le disque soit de nouveau disponible et je l’ai bien entendu (enfin) acheté après
l’avoir eu pendant des années en fichiers numériques!

 

alextwist
Invité
17 novembre 2011 1 h 17 min

il faut savoir aussi que la version 2001 n’était pas sortie sur Born Bad contrairement à la réédition de 2011, le label ne devait pas encore exister à l’époque

c’est aussi pour ça que le disque a été sold-out et introuvable pendant des années: JB a du redemandé les autorisations pour les morceaux

Béro du Fuzz
Invité
Béro du Fuzz
17 novembre 2011 8 h 33 min

Hourra! Tout est parole dorée dans cet article. La France, grande patrie du rock’n’roll dadaïste et dandy? Oui.

domi
Invité
domi
18 novembre 2011 0 h 35 min

Au delà du réel !

Et dire que pendant ce temps là les shadocks n’imaginaeint ,même pas, de pomper.

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